Cannes Obscure - 1995 - KIDS - LArry Clark
22 mai 2025Kids (Larry Clark, 1995)
Une jeunesse à vif, filmée comme un cri
En 1995, Larry Clark présente Kids à la Semaine de la Critique à Cannes. Un vieux loup qui filme des ados comme personne ne l’avait fait avant lui. Avec le jeune Harmony Korine au scénario, 19 ans à peine, ils composent un portrait abrasif de la jeunesse new-yorkaise des années 90. Le résultat : un choc, un miroir sale tendu au monde. Certains ont crié au génie, d’autres à la dérive morale. Ce qui est sûr, c’est que personne n’était prêt.
Telly, Jennie, Casper... Des prénoms qui sonnent comme des surnoms d’enfance. Le film suit ces figures mouvantes, sans trame claire. Une ville comme une chambre trop grande, des trottoirs comme des lits, des après-midis sans boussole. Kids est un film d’errance, de gestes sans lendemain. Ce n’est pas une leçon. C’est un témoignage. Clark n’encadre pas, ne commente pas. Il regarde. Il filme des jeunes qui s’inventent seuls, dans un monde sans adultes.
À Cannes, les débats ont fusé. On n’avait jamais vu la jeunesse filmée comme ça. Pas sous forme de fiction glamour, ni de drame social explicatif, mais comme une coulée brute. Le film prend à la gorge. Ce n’est pas tant ce qu’il montre qui dérange, c’est la sensation que rien n’est filtré. Pourtant, tout est écrit, cadré, pensé. Mais l’illusion du réel est totale. Les corps bougent, parlent, tombent comme dans un documentaire fantôme.
Chloë Sevigny et Rosario Dawson y débutent. Mais ce sont surtout Justin Pierce et Leo Fitzpatrick qui portent le film : non-acteurs, visages marqués, présences sidérantes. Ils viennent du skate, de la rue, de la marge. On sent que leurs répliques viennent de l’intérieur. Le film ne cherche pas l’effet, il cherche la vérité. Même s’il la trouve dans le vertige.
La bande-son est sublime, presque paradoxale : Lou Barlow, Sebadoh, Daniel Johnston… une guitare lo-fi pour adoucir le chaos. Ce contraste est troublant. Les mélodies calment sans effacer l’âpreté. Comme si la musique offrait un refuge intérieur que les personnages n’ont pas. Le film est dur, mais jamais cynique. Il est mélancolique. C’est un monde perdu avant même d’avoir été habité.
Le scandale, c’était ça : une jeunesse filmée sans récit rédempteur. Pas d’apprentissage, pas de conclusion. Juste le présent, pris à cru. Larry Clark venait de la photographie, des corps à fleur de peau, des silences trop longs. Avec Kids, il a fait un film témoin, un objet téméraire, un manifeste sur l’abandon — celui d’une génération laissée à elle-même.
Vingt ans plus tard, le film fait toujours l’effet d’un électrochoc. Mais il est aussi devenu une archive précieuse. Celle d’un âge et d’un monde où les ados vivaient dans une parenthèse flottante, entre l’enfance qui s’efface et un monde adulte encore hors de portée. Un cri, pas un jugement. Une matière brute, filmée avec un œil sans complaisance mais plein de tristesse.
Kids (Larry Clark, 1995)
A Raw Nerve of Youth, Filmed Like a Scream
In 1995, Larry Clark presented Kids at Cannes’ Critics’ Week. A seasoned wolf behind the camera, filming teenagers like no one ever had before. With 19-year-old Harmony Korine penning the script, they sketched a blistering portrait of New York youth in the 90s. The result: a shockwave, a dirty mirror held up to the world. Some hailed it as genius, others as moral collapse. One thing’s certain: no one was ready.
Telly, Jennie, Casper... Names that sound like childhood nicknames. The film drifts alongside these fluid figures, without a clear plot. A city that feels like an oversized bedroom, sidewalks like makeshift beds, afternoons with no compass. Kids is a film of aimlessness, of gestures with no tomorrow. It doesn’t teach. It testifies. Clark doesn’t frame or comment. He watches. He films youth inventing themselves alone, in a world without adults.
At Cannes, the debates ignited. No one had ever seen youth filmed like this — not as glossy fiction, not as neatly packaged social drama, but as something raw and unfiltered. The film grabs you by the throat. What disturbs isn’t so much what it shows, but the sense that nothing has been censored. And yet, everything is scripted, framed, intentional. But the illusion of reality is total. Bodies move, speak, collapse like in a ghostly documentary.
Chloë Sevigny and Rosario Dawson make their debuts here. But it’s Justin Pierce and Leo Fitzpatrick who carry the film: non-actors, marked faces, disarming presences. They come from skate culture, the streets, the fringes. You can feel their lines come from within. The film doesn’t aim for effect — it searches for truth. Even if it finds it in vertigo.
The soundtrack is sublime, almost paradoxical: Lou Barlow, Sebadoh, Daniel Johnston... lo-fi guitars softening the chaos. The contrast is haunting. The melodies soothe without erasing the harshness. As if the music offered an inner refuge the characters themselves don’t have. The film is tough, but never cynical. It’s melancholic. A world lost before it was ever inhabited.
That was the scandal: a youth filmed without redemption. No coming-of-age arc, no neat ending. Just the present, unfiltered. Larry Clark came from photography — raw skin, long silences. With Kids, he made a witness-film, a reckless object, a manifesto on abandonment — that of a generation left to fend for itself.
Twenty years later, the film still hits like an electric shock. But it has also become a precious archive. A record of a time and space when teens floated in a liminal moment, between fading childhood and an unreachable adult world. A scream, not a judgment. Raw material, filmed with an unsparing eye — but full of sadness.