Cannes Obscur - 2003 - The Brown Bunny - Vincent Gallo
19 mai 2025The Brown Bunny
De Vincent Gallo (2003 – Sélection Officielle, Hors Compétition)
Il est arrivé comme une gifle moite sur la Croisette. Vénère, beau, interminablement lent. Gallo traînait son spleen de biker malade à travers les routes sans fin d’Amérique comme on traîne un chagrin sexuel. The Brown Bunny, c’est une douleur blanche, obsédée par la disparition.
Celle d’une fille.
D’un amour.
D’un corps.
Vincent Gallo a tout fait. Réalisateur, acteur, producteur, chef op, monteur, compositeur. Il a conduit, cadré, fumé, parlé. C’est lui qui saigne à l’écran. Cannes 2003 ne savait pas où se mettre. Bouleversée ou dégoûtée. On parlait plus de la scène de fellation que du reste. Scandale fabriqué, bien sûr. Mais réel malaise. L’Amérique s’est offusquée. Cannes a ricané. Et Gallo, lui, a envoyé bouler tout le monde. Même Roger Ebert, le critique star, qu’il traitera de « gros tas de merde » avant de lui jeter une malédiction intestinale. Ebert, en retour, a écrit que The Brown Bunny était le pire film de l’histoire du Festival. Gallo a remonté le film. Ebert l’a revu. Il a changé d’avis. Cannes est restée fendue.
Mais The Brown Bunny, ce n’est pas un film de scandale. C’est un film qui parle de l’après. Après l’amour. Après la mort. Après soi. Bud Clay roule. Il roule dans le vide. Il est seul, il parle à personne. Le son est absent, parfois, comme dans les rêves où on crie sous l’eau. C’est long, c’est magnifique. On dirait un clip de Mazzy Star tourné par un moine zen en descente d’acide.
Le film est hanté par Chloë Sevigny, évanescente, présente que dans les souvenirs. Jusqu’à la fin. Cette scène. Frontale, crue, pas érotique, juste triste. Chloë, floutée par la légende, avale la détresse de Gallo, caméra fixe, regard perdu. C’est un adieu, un suicide filmé au ralenti. Derrière la provocation, un cri. Une confession. Une immense honte d’homme.
Gallo n’a jamais voulu plaire. Il filme les bagnoles comme des cercueils, les visages comme des ruines. Il filme les silences. Il ose faire long là où tout le monde coupe. Il ose pleurer pour de vrai. Son cinéma ne cherche pas l’amour du public. Il cherche à survivre. À comprendre pourquoi on continue. À quoi ça rime, l’amour, le sexe, la honte.
Et à Cannes, cette année-là, on ne savait pas si on avait vu une bouse narcissique ou un chef-d’œuvre punk. On a vu les deux. Comme souvent avec ceux qui tranchent dans le gras du réel. Ceux qui n’ont pas peur d’être grotesques. Gallo ne s’excuse pas. Il vous envoie son deuil à la gueule. À vous d’en faire quelque chose.
The Brown Bunny, c’est un film sur les routes qu’on prend pour ne pas crever. Même si on sait qu’au bout, il n’y a que la mémoire. Et peut-être, un peu de beauté, dans les miettes.
By Vincent Gallo (2003 – Official Selection, Out of Competition)
It arrived on the Croisette like a clammy slap. Angry, beautiful, unbearably slow. Gallo dragged his biker’s heartache across the endless highways of America like a sexual wound that wouldn’t heal.
The Brown Bunny is white pain, haunted by disappearance.
Of a girl.
Of a love.
Of a body.
Vincent Gallo did it all. Director, actor, producer, cinematographer, editor, composer. He drove, framed, smoked, muttered. It’s his blood on screen.
Cannes 2003 didn’t know how to react — shaken or repulsed.
People talked more about that scene than the film itself. The fellatio.
Manufactured scandal, of course. But the discomfort was real.
America was outraged.
Cannes smirked.
Gallo lashed out at everyone — even Roger Ebert, the star critic he called a “fat pig” and cursed with terminal bowel disease.
Ebert fired back, calling The Brown Bunny the worst film in the history of the Festival.
Gallo re-edited the film.
Ebert watched it again.
He changed his mind.
Cannes remained split down the middle.
But The Brown Bunny isn’t a scandal film.
It’s a film about the after.
After love. After death. After yourself.
Bud Clay drives.
He drives into the void.
He’s alone, speaking to no one.
Sometimes the sound disappears — like dreams where you scream underwater.
It’s long. It’s beautiful.
It feels like a Mazzy Star video directed by a zen monk on an acid comedown.
The film is haunted by Chloë Sevigny — ghostlike, appearing only in memory.
Until the end. That scene.
Unfiltered, raw, not erotic, just unbearably sad.
Chloë, blurred by myth, swallows Gallo’s despair in a static shot with dead eyes.
It’s a farewell, a slow-motion suicide.
Behind the provocation: a scream.
A confession.
A man’s immense shame.
Gallo never wanted to be liked.
He films cars like coffins, faces like ruins.
He films silence.
He lets the shots linger where others would cut.
He dares to cry, for real.
His cinema isn’t looking for love.
It’s looking to survive.
To understand why we keep going.
What it all means — love, sex, shame. At Cannes that year, no one could tell if they had seen a narcissistic disaster or a punk masterpiece. We saw both. As always with those who cut deep into the flesh of reality. The ones who aren’t afraid to be grotesque. Gallo doesn’t apologize. He throws his grief in your face. What you do with it is up to you.
The Brown Bunny is a film about the roads we take to keep from dying — even when we know that at the end, all that’s left is memory. And maybe, a little beauty, scattered in the wreckage.
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