Bright Eyes "Five Dice, All Threes"

Bright Eyes "Five Dice, All Threes"

Bright Eyes — Five Dice, All Threes

(chronique)

Bright Eyes n’a jamais tout à fait disparu. Il y a eu des silences, oui, des gestes parallèles, des disques qui n’en disaient pas tant. Mais ce qu’on appelle “revenir” n’a jamais vraiment été leur logique. Le groupe avance autrement, par glissements. Cette fois-ci, c’est Five Dice, All Threes. Un album qui se détache. Comme des microfissures. Ou des messages laissés à d’anciens soi.

Conor Oberst n’a pas changé de voix. Elle s’est peut-être déplacée : plus basse, moins certaine. Moins dans la blessure immédiate, plus dans une sorte de doute construit. Le disque est rugueux, opaque par endroits, presque compact.

“Bells and Whistles” n’a rien d’un décoratif. Le titre inverse ce qu’il annonce : on n’y trouve ni cloche ni fanfare. À la place, un arrangement suspendu, qui donne l’impression d’un mixage inachevé, volontairement. Une tension étouffée. L’écriture joue sur l’effacement – “I dressed it up... Still sounded like goodbye”. Le morceau ne cherche pas l’impact. Il refuse la montée. Il ronge.

“El Capitan” évoque la hauteur mais regarde en bas. Ce n’est pas une chanson d’ascension, c’est une chanson de vertige. La montagne est un écran – ou une tentative de monumentaliser quelque chose qui reste intraitable. Quelques arpèges, un clavier au bord de l’église, une ligne vocale qui retient au lieu de projeter. Le morceau tient sur peu. C’est précisément ce peu qui laisse la trace.

Puis il y a “Tiny Suicides”. Rien que le titre empêche la neutralité. Et pourtant le morceau refuse toute forme de spectaculaire. Il parle du morcellement quotidien, de ce qui s’érode doucement, sans drame. La voix est proche, mais presque déconnectée. L’arrangement, minimal, laisse de l’air autour. On entend le vide. On l’écoute.

Ce que Bright Eyes livre ici n’est pas une synthèse, encore moins une mise à jour. C’est un geste à part. Five Dice, All Threes pourrait être un accident. Ou une forme d’aveu. Il n’y a pas d’urgence. Juste une lucidité assez calme pour laisser place à la fissure.

La tournée à venir donnera peut-être une autre lecture à ces titres. Ou au contraire, elle les diluera. Mais ce n’est pas grave. L’album existe. Ces trois morceaux, surtout. Ils s’installent. Silencieusement. Et refusent de disparaître.

 


 

ROCK - BRIGHT EYES - Five Dice, All Threes - Album - 2024

Bright Eyes — Five Dice, All Threes

(review)

Bright Eyes never quite disappeared. There were silences, yes, parallel gestures, albums that didn’t say all that much. But what we call a “comeback” has never really been part of their logic. The band moves differently—by drift, by shift. This time, it’s Five Dice, All Threes. An album that comes apart. Like hairline cracks. Or messages left for former selves.

Conor Oberst’s voice hasn’t changed. Maybe it’s just moved: lower, less certain. Less immediate wound, more constructed doubt. The record is rough, opaque in places, almost compact.

“Bells and Whistles” is not ornamental. The title says one thing, the track says another—no bells, no fanfare. Just a suspended arrangement, like an unfinished mix—deliberately so. A muted tension. The writing leans on erasure: “I dressed it up... Still sounded like goodbye.” The song doesn’t chase impact. It refuses the rise. It corrodes.

“El Capitan” gestures upward but looks down. It’s not a song of ascent; it’s a song of vertigo. The mountain is a screen—or a failed attempt to monumentalize something that resists form. Sparse arpeggios, a churchlike keyboard hovering just outside, and a vocal line that holds back instead of pushing forward. The song relies on very little. And it’s that very little that stays.

Then there’s “Tiny Suicides.” The title alone denies neutrality. And yet the song avoids anything spectacular. It speaks of daily fragmentation, of slow erosion, undramatic. The voice is close, almost disconnected. The arrangement is minimal, leaving space around it. You hear the void. You listen to it.

What Bright Eyes offers here is not a synthesis—let alone an update. It’s a separate gesture. Five Dice, All Threes might be an accident. Or a kind of admission. There’s no urgency. Just a quiet lucidity, calm enough to make room for the crack.

The upcoming tour might offer another reading of these tracks. Or, just as likely, blur them. It doesn’t matter. The album exists. These three songs, especially. They settle in. Silently. And refuse to leave.

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